Nouveaux visages du Grand Roissy : moteur urbain, social et économique

Situé au nord-est de l’Île-de-France, le Grand Roissy regroupe une mosaïque de communes entre Seine-et-Marne, Val-d’Oise et Seine-Saint-Denis, fortement influencées par la présence de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle. Ce territoire, historiquement marqué par des paysages agricoles, connaît depuis une dizaine d’années une accélération de transformations qui redéfinissent son urbanisme et son cadre de vie : logements, services, mobilité, espaces naturels et équipements évoluent au rythme d’enjeux multiples.

Selon le Syndicat Mixte du Grand Roissy (SMGR), la population du bassin d’emploi du Grand Roissy est passée de 475 000 habitants en 2010 à près de 524 000 en 2021 – soit +10,3 % sur la période (Roissy Développement). La croissance démographique, couplée à la pression immobilière de l’Est francilien, insuffle de nouveaux besoins en logements et infrastructures, tout en interrogeant la qualité de vie offerte aux habitants.

Un urbanisme sous influences : entre pressions foncières et besoins sociaux

Le développement du Grand Roissy repose sur plusieurs dynamiques clés :

  • La proximité de l’aéroport Charles de Gaulle – qui génère 320 000 emplois directs et indirects sur la zone d’influence (Groupe ADP), impactant logistique, habitat et mobilité.
  • La nécessité de relier le territoire aux grandes infrastructures – comme la ligne 17 du Grand Paris Express, en construction, qui doit relier Le Bourget à Roissy en 14 minutes d’ici 2027 (Société du Grand Paris).
  • La pression démographique, en particulier sur le logement. Selon l’INSEE, 42 000 habitants supplémentaires sont attendus d’ici 2030 sur la CA Roissy Pays de France (source : INSEE 2023).
  • Des défis sociaux et environnementaux accrus : ségrégation urbaine, contrastes dans l’offre de services publics, vulnérabilité de certains quartiers, artificialisation des sols.

Dans ce contexte, l’urbanisme du Grand Roissy bascule progressivement du « tout-axe » centré sur l’aéroport, à des stratégies plus équilibrées, imaginant des centres-villes attractifs, et repensant la continuité entre développement économique, inclusion sociale et environnement.

De nouveaux modèles urbains : mobilités, logement et cadre de vie

La mobilité, pivot de la transformation 

La dépendance à la voiture diminue lentement sur le territoire, mais reste une réalité : à l’heure actuelle, 59 % des actifs du Grand Roissy utilisent leur voiture pour rejoindre leur lieu de travail (source : INSEE, Enquête Mobilité 2022). Le « choc des mobilités » annoncé par l’arrivée du Grand Paris Express devrait significativement réduire ce taux, et attirer de nouvelles populations actives préférant le train/vélo.

Les projets structurants :

  • La future gare du Triangle de Gonesse (Grand Paris Express), avec un quartier intermodal et la promesse d’emplois tertiaires (20 000 attendus à terme selon la SGP).
  • Le prolongement du RER B et D, appuyé par des pôles bus modernisés (Roissypôle, Tremblay-en-France).
  • Des essais pilotes de pôles vélos/scooters partagés à Villepinte et à Roissy-en-France, encore modestes mais révélateurs de nouveaux usages.

Le logement : répondre au besoin, diversifier l’offre

Les communes du Grand Roissy présentent de fortes disparités : Épiais-lès-Louvres, par exemple, compte moins de 600 habitants, quand Garges-lès-Gonesse en dépasse 43 000. La construction de logements a connu un bond dans les villes proches de l’aéroport (+30% entre 2012 et 2021 à Roissy-en-France, source : INSEE), avec une priorité donnée à la mixité sociale et à la rénovation énergétique du parc existant.

Commune Logements construits (2012-2021) Taux de logements sociaux (%)
Roissy-en-France 1 029 21
Gonesse 2 870 36
Villepinte 1 800 34

Mais cette progression reste inégale, les collectivités devant jongler avec la rareté foncière, la lutte contre l’étalement urbain, et l’obligation d’accueillir une diversité de ménages (étudiants, familles, salariés du hub aéroportuaire, seniors, personnes en situation de handicap…).

Équipements, espaces verts et inclusion : vers un cadre de vie rééquilibré

Le renforcement du cadre de vie est un axe majeur des politiques urbaines du Grand Roissy. Plusieurs initiatives majeures ont vu le jour :

  • Plaine Oxygène à Tremblay-en-France : 120 hectares de friches remises en espaces verts, avec parcours de santé, lacs, terrain de sport, gestion écologique (source : Plaine Oxygène, SEM Plaine Commune Développement).
  • Programme « Cœur de ville » à Louvres : création d’une médiathèque, rénovation de la halle du marché, nouveaux logements avec services adaptés aux seniors (2020-2023).
  • Maison de santé pluridisciplinaire à Mitry-Mory : 12 médecins, projeté en 2026, vise à lutter contre la désertification médicale du territoire.
  • Plan d’accessibilité universelle à Goussainville : réfection des axes piétonniers et création d’espaces publics inclusifs.

Enjeux émergents : transition écologique, participation et cohésion sociale

Lutter contre l’artificialisation et adapter la ville au climat

L’artificialisation rapide des sols autour de Roissy pose un défi majeur : entre 2006 et 2019, la part des surfaces urbanisées y a augmenté de 16 % (source : IAURIF/Institut Paris Région). Face à ces chiffres, les communes s’engagent dans des politiques de sobriété foncière (densification maîtrisée, « villes du quart d’heure », renaturation de sites comme l’Aulnay-sous-Bois).

Enjeu supplémentaire : l’adaptation aux risques climatiques, la gestion des eaux pluviales (le pluvial est source de tensions lors d’épisodes orageux intenses), et le maintien de corridors écologiques face à la pression du développement.

Impliquer la population et renforcer le lien social

Des démarches participatives, parfois innovantes, essaiment : le « budget citoyen » à Tremblay-en-France (100 000 € par an pour des projets portés par les habitants), les ateliers de quartier à Gonesse, les opérations d’urbanisme transitoire mobilisant le tissu associatif.

Ces stratégies visent à renforcer l’appropriation des espaces publics, à raccrocher les populations éloignées de la vie urbaine (jeunes, seniors isolés, nouveaux arrivants) et à prévenir les phénomènes d’exclusion, encore prégnants dans certains quartiers d’habitat social.

Observations, défis et perspectives pour les professionnels du secteur

  • Conjuguer développement et lutte contre la précarité : malgré l’attractivité du secteur, 21 % des ménages sont encore sous le seuil de pauvreté à Gonesse et Villiers-le-Bel (source : INSEE 2023), d’où la nécessité de penser l’urbanisme comme un outil de cohésion sociale.
  • Anticiper les besoins médico-sociaux : la densification du logement accélère la demande d’équipements (EHPAD, foyers de jeunes travailleurs, structures pour personnes en situation de handicap). La CA Roissy Pays de France recense déjà 18% de plus de 60 ans (chiffres 2022), une croissance continue.
  • Gérer la pluralité des acteurs et l’ingénierie des projets : initiatives communales, agglo, syndicats mixtes, promoteurs privés, bailleurs sociaux, associations… Le montage des opérations urbaines nécessite une culture du partenariat et de la négociation.

Au cœur du Grand Roissy, ces mutations illustrent les défis contemporains de l’urbanisme périurbain francilien : accompagner la croissance sans sacrifier le cadre de vie, ni aggraver les inégalités. Les professionnels engagés dans le sanitaire, social et médico-social trouveront ici un terrain fertile d’expérimentation, avec des enjeux de mixité, d’accessibilité et d’innovation sociale particulièrement prégnants.

Reste à observer, dans les prochaines années, comment la synergie entre les politiques publiques, les habitantes et les acteurs économiques permettra de faire du Grand Roissy un laboratoire de la ville inclusive et durable.

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