Un territoire sous pression : pourquoi la question de la mobilité locale est cruciale à Roissy

Situé au carrefour d’axes majeurs, traversé par l’aéroport Paris-Charles de Gaulle et ses 200 000 emplois directs et indirects (ADP), le Grand Roissy vit au rythme d’une mobilité effervescente, mais aussi contrainte. Avec plus de 1,2 million d’habitants sur les intercommunalités concernées (Roissy Pays de France, Plaine Vallée, Paris Terres d’Envol…) et un flux quotidien de 180 000 salariés, la circulation locale est soumise à une pression que peu de territoires connaissent. Les habitants, tout comme les salariés, font face à une question centrale : comment se déplacer efficacement, sans dépendre systématiquement de la voiture individuelle ?

Inventer des solutions pour demain : stratégies des communes pour agir sur la mobilité

Les enjeux de mobilité sont multiples : désengorger les axes routiers saturés, réduire l’empreinte carbone, améliorer la qualité de vie et maintenir l’attractivité économique du territoire. Les communes du Grand Roissy, conscientes de ces défis, multiplient les stratégies adaptatives, souvent en collaboration avec les intercommunalités et la région Île-de-France. Quelles sont les grandes tendances repérées sur le terrain ?

1. Développer le réseau de transports en commun : les grands chantiers en cours

  • Le Grand Paris Express à l’horizon 2027-2030 : La future ligne 17 reliera le Bourget à l’aéroport CDG, avec des gares à Gonesse, Le Mesnil-Amelot, Parc des Expositions, etc. Un investissement majeur (environ 4 milliards d’euros, Société du Grand Paris) qui vise à offrir une alternative crédible à la voiture, avec une capacité de 125 000 voyageurs par jour, selon la SGP.
  • Prolongements bus et RER : La refonte des lignes de bus et la rénovation de certaines gares (Sevran-Beaudottes, Roissy-CDG, Mitry-Claye…) permettent de mieux relier zones d’activités, pôles de services et quartiers résidentiels. Depuis 2019, plus de 11 lignes de bus nouvelles ou restructurées dans le secteur, selon Île-de-France Mobilités.
  • CDG Express : Sa mise en service prévue pour 2027 devrait connecter Gare de l’Est à l’aéroport en 20 minutes. Un projet qui suscite à la fois espoir chez les acteurs économiques et débats sur son coût et sa réelle accessibilité pour les habitants du Grand Roissy (Le Monde).

2. Encourager les mobilités douces : pistes cyclables et expérimentations innovantes

Dans un territoire historiquement pensé pour l’automobile, inverser la tendance n’est pas simple. Mais plusieurs initiatives concrètes voient le jour :

  • Voies cyclables structurantes : À Tremblay-en-France, le nouveau réseau cyclable (près de 15 km créés entre 2021 et 2024) relie les écoquartiers, la gare RER B et l’aéroport. La communauté d’agglomération Roissy Pays de France prévoit 50 km supplémentaires d’ici 2026 (source : Conseil départemental Seine-Saint-Denis).
  • Plans vélo communaux : Gonesse, Villepinte, Louvres... Plusieurs communes expérimentent des zones de circulation apaisée, des garages à vélos sécurisés près des gares et des aides à l’achat de vélos électriques (jusqu’à 400€ à Villeparisis via l’interco).
  • Projets “multimodalité” : Parvis réaménagés, parkings-relais, applications pour planifier des itinéraires intermodaux – autant d’outils pour encourager à combiner vélo et transports en commun.

3. Réinventer la desserte locale : la navette, de l’exception à la norme

  • Navettes locales de rabattement : Intercommunalités et entreprises travaillent à la création de navettes entre gares, zones d’activités et quartiers éloignés des grands axes de transports en commun. Le “Roissy Bus Entreprises” à Roissy CDG Village, par exemple, dessert plus de 1000 salariés chaque semaine (source : Paris Terres d’Envol).
  • Expérimentations innovantes : En 2023, Goussainville a lancé une expérimentation de navettes électriques autonomes pour relier le centre-ville à la gare RER D, testée par près de 3000 usagers. L’agglomération étudie son extension à d’autres secteurs.

Entre contraintes et opportunités : les défis spécifiques du Grand Roissy

Quels sont les obstacles qui freinent encore la fluidité des déplacements locaux ? Et quelles opportunités émergent ?

La géographie urbaine, un défi marqué

  • Villes historiquement séparées par les zones agricoles ou industrielles, souvent mal reliées entre elles : c’est le cas de Louvres et Goussainville, séparées par la “plaine” (zone de bruit aérien) peu urbanisée.
  • Présence des “coupures” majeures : rails (RER, LGV), autoroutes (A1, A3), qui fragmentent le territoire et compliquent le développement de réseaux cyclables ou piétonniers continus.

Grandes plateformes logistiques : un atout, mais aussi un casse-tête

Les plateformes de fret (Bonneuil, Tremblay, Mitry, etc.) génèrent un important trafic de poids lourds et de véhicules utilitaires. En 2022, plus de 28 000 passages quotidiens de poids lourds ont été enregistrés sur la D902 (Chiffres DREAL Île-de-France), ce qui détériore les chaussées et complique la cohabitation avec les mobilités douces.

  • Réorganisation des flux : Certaines communes, comme Mitry-Mory, travaillent à dévier le transit routier hors des centres-villes ou à créer des zones logistiques “zéro emissions” d’ici 2030 (projet départemental).

Des mutations sociales à intégrer

  • Le territoire reste marqué par une part de ménages sans voiture significative (jusqu’à 32 % à Sevran, Insee 2021), ce qui rend l’amélioration de l’offre collective encore plus cruciale.
  • Près de 35 % des déplacements domicile-travail dépassent 15 km (INSEE 2022) du fait de la polarisation des emplois sur les pôles aéroportuaires, d’où l’urgence à proposer des solutions efficaces à l’échelle intercommunale.

Les synergies gagnantes : coopération territoriale et innovations de terrain

Ce n’est qu’en croisant les initiatives que les communes du “cluster aéroportuaire” parviennent à progresser :

  • Coopération intercommunale efficace : Les contrats de territoire portés par Roissy Pays de France et Paris Terres d'Envol permettent de mutualiser les études, achats de matériel, et gestion des nouvelles lignes de bus.
  • Partenariats public-privé : L'implication directe d'ADP, d’Altarea Cogedim (dans le réaménagement des accès au Mesnil-Amelot) ou de grands employeurs dans le financement de navettes et de stations vélos est un marqueur local original.
  • Participation citoyenne : Les enquêtes auprès des habitants de Garges-lès-Gonesse et Villiers-le-Bel, menées en 2022, ont favorisé l’ajustement des horaires de bus et la création de haltes cyclables. L'intérêt croissant pour les "budget participatifs" appliqué à la mobilité (source : Roissy Pays de France).

Pistes d’avenir : que préparer face à une mobilité en pleine mutation ?

  • Intensifier le “maillage fin” cyclable et piéton, pour une accessibilité entre quartiers trop longtemps isolés.
  • Accélérer le passage à l’électromobilité, tant pour les navettes locales que pour les flottes d’entreprises (objectif régional : 100% des bus neufs « propres » avant 2025).
  • Digitaliser l’information voyageurs et l’intégration tarifaire, pour que l’intermodalité ne soit plus un casse-tête mais une évidence.

Il faut également tenir compte des transformations majeures du travail (télétravail, flexibilité des horaires) et de l'attractivité dynamique des zones d'activités de l'aéroport. La mobilité à Roissy, ce n’est pas qu’une question d’infrastructures ; c’est aussi un enjeu de société, au cœur de toutes les politiques publiques du territoire.

De nouveaux équilibres à inventer

La mobilité dans le Grand Roissy, à l’heure des transitions écologiques et numériques, pousse les communes à innover, à coopérer, mais aussi à réinventer leur rapport au territoire. Entre héritage routier, flux internationaux et attentes croissantes des usagers locaux, la carte des déplacements est en constante évolution. Les défis sont grands, mais les réponses se structurent – et, souvent, s’expérimentent à l’échelle de chaque commune, laboratoire au sein d’un même ensemble, celui du Grand Roissy.

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